Direction : Alain Ehrenberg
Exposé des motifs
La situation particulière des affections mentales et des troubles du comportement a pour conséquence que débats, controverses et polémiques concernent non seulement l’efficacité des thérapeutiques, les stratégies de recherches, l’étiologie et la caractérisation des maladies, mais également des questions philosophiques et morales relatives aux conceptions mêmes du sujet humain. Les désaccords ont un style particulier parce qu’ils reposent sur une redoutable difficulté pratique et conceptuelle : l’impossibilité d’observer directement ce qui se passe dans l’esprit d’autrui. On est donc toujours confronté à la question des rapports corps-esprit et à la notion de subjectivité (et donc d’objectivité) qui restent indécises.
Les savoirs de la santé mentale sont produits par la psychiatrie, les sciences cognitives, qui regroupent différentes disciplines, dont la psychologie cognitive, et les neurosciences, elles-mêmes faisant appel à différentes approches (imagerie cérébrale, neuropharmacologie, biologie moléculaire, génétique moléculaire et quantitative, etc.), l’épidémiologie, la psychologie clinique et la psychanalyse. Leur analyse soulève des enjeux philosophiques, selon les neurobiologistes eux-mêmes, et des enjeux pratiques (sur les modes de prise en charge, par exemple). Ces derniers ont été jusqu’à présent peu étudiés par les sciences sociales. Or, l’action publique, les acteurs associatifs ou privés (entreprises pharmaceutiques, de biotechnologies, etc.), les professionnels (psychiatres et cliniciens d’orientations diverses, intervenants en toxicomanie, en alcoologie) se réfèrent à des modèles, souvent conflictuels, impliquant des controverses normatives (par exemple, sur les bonnes pratiques), mais aussi sur les façons de penser et d’intervenir sur le patient.
De là nos questions : comment les sciences psychiatriques se font-elles ? Quels arguments avancent-elles pour caractériser leur progrès ? Comment définissent-elles leurs critères de validité interne ? Comment penser la part sociale de toute pathologie mentale ? Quelle est la teneur du « subjectif » ? En quoi consistent les problèmes de son objectivation ? Que signifie pour la psychiatrie et la médecine mentale au sens large l’espoir actuel de « naturaliser le mental » ? Comment s’entrelacent les avancées scientifiques et les imaginaires sociaux ?
Notre démarche est centrée sur les rapports intersciences et sur les contextes sociaux, institutionnels et politiques. Les problèmes sur lesquels nous proposons des recherches portent donc sur les redéfinitions des pathologies, les transformations des normes sociales, les changements des catégories employées par les chercheurs, les professionnels comme par les usagers de la santé mentale.